La sommation des acouphènes_A Quiet Life Under the Ground
Revue Inter, art actuel #146 Babel et la crise du symbolisme, automne 2025, pages 78-84.“[...] Les corps trébuchent, s’affalent, crachent et renversent. BB pousse le souffle à ses extrêmes, pour faire bouillonner un bassin d’eau à l’aide de tubes translucides ou, la tête recouverte d’une membrane de latex, s’époumone pour la faire gonfler ; sa peau rougie, ses respirations de plus en plus erratiques ; on assiste au spectacle d’un corps qui s’épuise pour recommencer, ou qui recommence pour s’épuiser.
Une conception fertile de l’échec – où l’échec n’est pas une fin, mais une avenue – vient littéralement détruire une narrativité normative et vient rejoindre la notion de théorie spéculative, telle qu’on peut la voir chez Despret. La Low theory, pour reprendre le vocabulaire d’Halberstam, proposée par La sommation des acouphènes_A Quiet Life Under the Ground, nous permet de réévaluer les frontières du succès en matière de narrativité, de performance et même de cohérence, pour atteindre un noyau sensible, plus tendre que dans une certaine tradition théâtrale ou opératique.
Il importe peu finalement que les dispositifs fonctionnent ou que le récit fasse sens, BB prend la responsabilité de suspendre pour nous notre incrédulité, elle construit autour de nous un environnement sensoriel, dur, mais enveloppant. Comme la mygale construit son terrier. Nous devenons les poils perceptifs, hérissés sur les jambes de numéro 16/Gui BB.
Dans cette autre vie je suis cette veuve efféminée j’aspire qu’à ne devenir sourde
Qu’à racler les archives humaines de mon torse
jusqu’à ce qu’on n’aperçoive que la surface luisante
et souple de ma bile radiée
Dans cette autre vie je suis ce fantasme surnaturel
une mutante à l’ouvrage
utilisant mes pouvoirs que pour servir ma communauté
et l’on observe ma mort comme une sublimation,
non comme une tragédie
Qu’à racler les archives humaines de mon torse
jusqu’à ce qu’on n’aperçoive que la surface luisante
et souple de ma bile radiée
Dans cette autre vie je suis ce fantasme surnaturel
une mutante à l’ouvrage
utilisant mes pouvoirs que pour servir ma communauté
et l’on observe ma mort comme une sublimation,
non comme une tragédie
(extrait du texte de la pièce)
Cette incorporation du récit de numéro 16 dans le corps de BB doit être comprise comme un dispositif, à nouveau réflexif, où les deux objets s’interrogent, sans hiérarchie ou valeur de cohérence. Deux voix réunies pour faire ; pour crier et vomir, pour s’épuiser mutuellement et pour chanter. Car si la mort de 16 est survenue il y a près de dix ans déjà, c’est aujourd’hui qu’elle prend corps, c’est aujourd’hui qu’elle mute, qu’elle se fait dévorer et qu’elle meurt à nouveau. En offrant leur corps au récit de numéro 16, Gui BB, Mycélium, Michael Martini, Frédérique Chassé et Jad Mroue proposent une nouvelle manière de raconter la nature et l’identité. Moins définies par une recherche empirique que par une quête de sensations, on parvient à en conjurer une réelle impression qui, permettons-nous de nous le demander, est peut-être plus réelle qu’il est possible de le concevoir.”