La marchandise en crise. 
Essai sur Le magasin d'Odile Gamache

Magazine Spirale #287 Hygiène de vie, automne 2024, pages 133-136.

[...] « Tout doit disparaître », nous dit le magasin, comme si la marchandise s’évaporait une fois à l’extérieur de son enceinte ; comme si l’objet n’avait aucune existence au-delà de son potentiel d’achat, telle une coquille vide aux signes abstraits, facilement interchangeables. Bien que Le magasin n’explore pas directement les effets tentaculaires du commercial, les dispositifs de la pièce évoquent l’hyperstimulation visuelle, symbolique et affective typique de l’hypermodernité à laquelle le magasin sert d’écrin. Odile Gamache dramatise, sous une forme exacerbée, ce que Gilles Lipovetsky et Jean Serroy désignent par le terme «néokitsch», soit les affiches publicitaires, les lumières stroboscopiques, la musique d’ambiance de plus en plus envahissante et la théâtralité excessive. La scénographe explore cette esthétique du « trop » dans deux univers distincts : le kitsch feutré, glamour et sensuel ; et le kitsch fluorescent, techno et ultrarapide. Exactement comme sur une avenue commerciale, ces univers se croisent tout au long de la pièce. 

Les gestes d’Odile Gamache et les manipulations invisibles de Charlie Loup S. Turcot créent une spectaculaire chorégraphie de marchandises qui provoque un émerveillement similaire à celui que l’on a pu ressentir, enfant, devant les vitrines animées d’Ogilvy. Une joie enfantine qui, de fil en aiguille, se double d’une certaine séduction, mais aussi d’une anxiété produite par l’accumulation accélérée de stimuli. Odile Gamache, Philippe Cyr et Charlie Loup S. Turcot font preuve d’une impressionnante ingéniosité technique qui trompe constamment le regard et donne aux objets/marchandises une agentivité marquée.

Dans Le magasin, la marchandise nous surprend, nous émeut, nous fait rire et nous étourdit. Odile Gamache l’inscrit dans un univers chorégraphié, finalement très similaire à son cycle de vie naturel : la marchandise est célébrée, sublimée, avant d’être oubliée, vendue au rabais ou remplacée. 

En somme, Le magasin permet une exploration personnelle de nos relations à la consommation et ses espaces fétichisés, en plus d’ouvrir la réflexion à la situation globale du sens au sein d’une société qui accouche de nouvelles formes en permanence, au sein d’un système qui finalement croît grâce à la dilapidation du symbolique.
Photo : David Wong